Manger Dieu

Dimanche, 19° semaine du temps ordinaire (année B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 6, 51-58)

En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

  Un Dieu que se laisse approcher, qui se laisse toucher, un Dieu surtout qui va jusqu’à se laisser manger, comme c’est déroutant ! Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi, pour se laisser manger et se donner totalement ? Et se donner en nourriture ! A l’époque déjà, vous l’avez entendu, on se rebiffe contre l’incompréhensible : Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? Au fil des siècles, frères et sœurs, c’est une histoire qui a souvent fait débat, et a suscité bien des malentendus. Manger Dieu ! C’est vrai que c’est incroyable ! On peut résoudre le problème, comme nos frères protestants, en considérant que le pain et le vin ne sont en vérité que des symboles. Mais les entendons-nous bien, ces paroles de la consécration : ceci est mon corps, mangez-en tous. Jésus ne dit pas, en parlant du pain, ceci est le symbole de mon corps… C’est qu’avec les hommes (c’est en vérité tellement bouleversant !), il ne cherche pas à établir une relation symbolique mais une relation réelle, charnelle. Et nous catholiques, nous croyons justement à la présence réelle, à la mystérieuse présence de Dieu dans ce si petit morceau de pain. Pourquoi Dieu a-t-il voulu faire de la manducation de son corps dans l’hostie le cœur même de notre liturgie ?

 Il veut évidemment nous guérir là où ça fait mal. Dieu sait bien que, dans la vie des hommes, tout est toujours affaire de nourriture. Depuis Adam et Eve, frères et sœurs, nous mangeons mal ! Le péché (il n’a rien perdu de sa vigueur !), oui c’est de manger mal, de manger avant l’heure, de manger en dehors des repas, de dévorer, et souvent de.. s’entredévorer. Bien sûr que Jésus-médecin prend très au sérieux les troubles du comportement alimentaire de l’humanité ; bien sûr qu’en instaurant l’eucharistie, il tente de nous remettre à la bonne table. Il met évidemment ses pas dans la grande tradition d’Israël, et, nous aussi, nous donne à manger de ce pain de la libération, pain azyme de la nuit de Pâque qui n’avait pas levé au soir de la sortie d’Égypte parce qu’il fallait partir en hâte pour la terre promise.  Mais il va encore tellement plus loin : ceci est mon corps, mangez-en tous ! Sous l’apparence du pain, il nous le dit, il est là ! En personne. Comment bien comprendre, comment tenir la bonne ligne de crête devant un si grand mystère : les siècles n’ont pas cessé d’hésiter entre deux tendances opposées ; le balancier de l’histoire fait tantôt pencher dans un excès, et tantôt dans l’autre. Ainsi, nous sortons de quelques décennies de désacralisation excessive de la présence réelle. On ne voulait surtout pas tomber dans la superstition ! On se souvenait volontiers que, Dieu lui-même l’a dit, le vrai pain c’est la Parole qui sort de la bouche de Dieu. On a souri de bon cœur quand nos grands-mères, se rappelant de leurs caricaturales leçons de catéchisme, nous disaient qu’on leur expliquait qu’il faut éviter de mâcher l’hostie parce qu’on ne mâche pas le Christ, on pourrait lui faire mal. Avoir une foi mature, c’était alors sortir de cette compréhension trop matérialiste et littérale, voire naïve de la présence réelle. On s’insurgeait contre les dévotions eucharistiques dans lesquelles on trouvait beaucoup de superstition. Comment penser que je puisse mâcher Dieu qui est esprit. Hélas, conjointement à ce catéchisme-là (est-ce un hasard ?), la pratique a terriblement chuté, la liturgie s’est perdue et s’est considérablement appauvrie, et l’eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne, a perdu de sa saveur. Grâce à Dieu, on redresse aujourd’hui la barre et c’est heureux. Mais on risque peut-être maintenant l’excès inverse, au risque d’assigner Dieu à sa seule présence réelle dans l’hostie. On peut être repris par les excès de la pensée magique. Plus qu’à la dévotion, Dieu nous appelle à la relation, à la communion, et c’est parfois tellement plus exigeant ! Risque de dévotion excessive qui peut toucher, par exemple, même le service du diacre : mettre ainsi un excès de solennité et trop de soin dévotionnel quand il ramène la réserve au tabernacle, en oubliant la dimension très eucharistique de l’envoi ! Autant que de raccompagner le Seigneur au tabernacle (ce qui est un beau et noble service de l’autel auquel le diacre met bien sûr tout son cœur !), rien cependant n’est plus émouvant pour lui, juste avant de prononcer l’envoi final, que de contempler un instant l’assemblée en fin de messe ! Une assemblée on pourrait dire « eucharistifiée », qui vient juste de communier, et toute pleine de la présence réelle de Dieu ! Tout ce parterre devant lui, ça vaut un ciboire ! Une nef pleine d’hommes et de femmes qui se sont nourris du pain de vie, oui c’est un vrai ciboire, bien vivant, bien réel celui-là aussi ! C’est si touchant de savoir Le Seigneur descendu alors dans les cœurs, de mesurer à la fin de la messe, sous les apparences de vos pauvres visages d’hommes, la très réelle présence de Dieu, effective, dans vos vies. Et plus que dans vos vies, partout là où vous irez, dans le monde. Quel beau moment que l’envoi !... La présence réelle déborde tellement du tabernacle ! Car décidément, l’hostie n’est pas d’abord faite pour la tabernacle !

Frères et sœurs, on n’est guère avancé ! Comment comprendre avec justesse un si grand mystère ? Je crois que c’est perdu d’avance ! Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? Cette parole des auditeurs déroutés de Jésus, elle est aussi la nôtre ! Juste ceci, pour finir, et ne pas trop me dérober devant l’insondable du mystère : même s’il a voulu prendre chair de notre humanité et a été un homme apparemment comme les autres, sous son apparence humaine, c’est un Dieu qui déjà était là. C’est que la chair de Jésus ne sera jamais exactement comme la nôtre : elle n’existe pas pour elle-même, elle est tout entière ordonnée à l’amour qu’il a pour nous et au dessein qu’il a de nous sauver. Dieu n’est pas venu faire un tour sur terre, il ne s’est pas incarné pour essayer la condition humaine. L’incarnation est un très grand mystère d’amour, profondément subordonné à l’intention que Dieu avait au fond du cœur de nous relever. Si bien que le corps de Jésus, à la différence du nôtre, sous ses apparences charnelles, c’est en vérité de l’amour à l’état pur. Dans son ADN, c’est de l’éternité à l’état pur ! Nous inviter à le manger, sous l’apparence si simple du pain, c’est donc nous donner de l’amour et de l’éternité à manger. Quel cadeau ! Il n’y a pas de changement des apparences, bien sûr, autrement dit les molécules du pain n’ont pas changé́. Je ne mâche pas des molécules d’un corps d’il y a 2000 ans mais bien des molécules de blé ! Mais sous les apparences, c’est une substance très mystérieuse qui se donne à nous. C’est de l’amour et de l’éternité, auxquels nous sommes invités à communier. Car le corps du Christ, c’est ça d’abord ! Et c’est de communion dont nous parlons, plus que d’absorption, ou d’ingestion. Manger Dieu, c’est juste se laisser diviniser par lui et lui laisser transformer nos pauvres corps mortels, nous qui ne sommes pas Dieu, en corps d’éternité. Le laisser infuser cela en nous, lui laisser changer nos pauvres vies d’affamé (mais si souvent obsédées de dévoration en tout genre), en offrande d’amour à l’état pur. Recevoir l’hostie dans la main, frères et sœurs, c’est donc aussi très beau. Car, avant de la porter à la bouche, c’est prendre le temps de contempler cela quelques secondes : contempler de l’amour, contempler de l’éternité cachées dans un petit morceau de pain. Et recevoir chaque dimanche provision d’amour et d’éternité de ce Dieu incroyable qui n’a pas d’autre urgence que de se donner lui-même totalement en nous les donnant. 

Je sais bien, frères et sœurs, que tout ça nous dépasse. J’ai bien conscience de ne pas vous aider à grand-chose dans cette affaire ! Puissions-nous simplement ne jamais nous habituer à ce pain-là. A chacun de vous personnellement, le ministre qui bientôt vous le donnera dira : « le corps du Christ ! »  Dans le petit amen que vous répondrez alors, mettez tout votre cœur ! Oui, mettez toute votre foi, toute votre l’espérance et votre charité dans l’amen à ce petit morceau de pain, assurés que, même si on n’y comprend rien, il nous conduit invisiblement au cœur de l’amour et nous mènera, par des voies sûres, dans cette belle terre d’éternité où chacun de nous, oui chacun de nous, est tellement attendu ! Amen. 


Paroisse Sainte Marie Madeleine en Charolais. Charolles. 20è Ord B  18 août 2024


Commentaires

  1. Michele.rabesahala@gmail.com

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  2. Merci MR.Patrick . Nous recevons de l'Amour et de l'éternité à l'état pur que nous pourrons et même devons partager ., quelle immense joie !

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