Debout

Premier Dimanche de l'Avent (année B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 21, 25-28.34-36)

 Combien de fois Jésus nous aide à bien regarder ! Car nous voyons souvent mal, nous regardons de travers, nous manquons souvent l’essentiel et nous peinons à ouvrir l’œil : il y a trois semaines souvenez-vous, c’était ce merveilleux évangile de l’obole de la veuve : dans Luc, juste quelques lignes avant l’évangile de ce matin. Dans le grand bazar du Temple, tout comme dans un ciel d’apocalypse, c’est qu’il y avait là déjà bien du bazar à regarder ! Et c’est là que Jésus appelle ses apôtres pour leur donner alors une leçon de regard : ce n’est pas d’abord le grand bazar du Temple qu’il faut scruter :  un détail en effet leur avait échappé (car c’est bien plus Dieu qui est dans les détails que le diable !). Une femme, une veuve, sans que personne ne fasse bien attention à elle (on ne fait jamais assez attention, et ce que Jésus voudrait nous donner, c’est justement de l’attention !), une veuve donc met dans le tronc son offrande, non pas prise sur son superflu, mais de son essentiel : à Dieu, elle donne tout ! Au cœur du grand bazar du Temple, qui l’avait vue ? C’est que son offrande un peu cachée, à peine visible, ne payait pas de mine. Si elle avait échappé aux apôtres, qui ne regardent pas où il faut, elle n’a en revanche pas échappé au Christ. Ce que Jésus aurait tellement aimé, une fois leur regard distrait ramené sur elle, c’est qu’ils comprennent qu’en vignette, à travers cette femme qui donne tout, que dans quelques jours, la Pâque à Jérusalem étant imminente, c’est lui comme elle qui va tout donner, lui qui comme elle va donner sa vie (l’ont -ils seulement deviné ?). Mais, pauvres apôtres, ils n’ont sans doute fait que jeter sur elle un œil superficiellement admiratif, et sans doute pas bien vu de quoi, de qui cette femme était en vérité la bouleversante icône. Non, frères et sœurs, même avec l’aide du Christ, on ne regarde jamais bien, ni où il faut, ni assez profondément. On ne voit jamais assez l’amour, sa source, son visage ! Dans tout ce que Jésus nous donne à voir, combien de fois nous le manquons, lui ! Et toute la littérature apocalyptique, très en vogue dans les temps anciens, est précisément une épreuve et un bon exercice pour le regard. Jésus la connaît bien, cette littérature mais peut-être nous invite-t-il à bien voir ! C’est un genre en soit, elle a ses images, ses figures imposées. Du grand spectacle, justement, à l’envi, mais où regarder ? Il importe régulièrement de réentendre ces grands textes. Ils nous rappellent, (car nous qui nous laissons si facilement divertir, nous pourrions bien l’oublier !), que l’histoire humaine comme celle du monde aura un terme. Que tout aura un terme, nos vies aussi… Et que l’avènement des temps nouveaux, d’une terre et d’un ciel nouveaux ne se font pas sans convulsions. Les cataclysmes et les scénographies « fin de monde » nous rappellent bien simplement que nous ne pouvons pas vivre sans Fin !.. Le problème, c’est que nous sommes un peu comme l’idiot du dicton, vous vous souvenez : quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ! Nous regardons souvent le grand spectacle, en cinémascope comme à Hollywood ! Et on en a plein les yeux : des signes dans le soleil et la lune et les étoiles, le fracas de la mer et de flots. Visuellement, c’est efficace ! On se fait facilement des films, et un peu peur du coup, d’autant que toutes les époques ont de bonnes raisons de se dire que, cette affaire, c’est pour elles : on se met alors à transposer, et à déchiffrer. On scrute, on interprète, tous azimuts ! Même si Jésus nous dit que nul ne sait ni le jour ni l’heure, certains lisent alors dans le marc de café et on finit toujours par les trouver autour de nous, ces fameux signes ! Reconnaissons d’ailleurs que les perturbations climatiques et les inondations généralisées et fréquentes de ces dernières années donnent des arguments à ceux qui disent que, ça y est, on y est ! Et Jésus n’estompe pas la perspective apocalyptique, il met ses propres mots dans ceux des grands prophètes apocalyptiques de l’Ancien Testament. Oui, ces événement arriveront, à n’en pas douter. Apparemment, il ne dit pas autre chose que ce qu’on dit les prophètes :  dans l’évangile de ce matin, Jésus cite assez explicitement le prophète Daniel, au chapitre 7, qui raconte un songe qu’il fait où il voit une fin du monde : Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Mais à quel moment de sa prédication Jésus cite-t-il ce texte apocalyptique bien connu en Israël ? Ne perdons pas de vue le contexte. Quand Jésus cite Daniel, on est précisément au Temple de Jérusalem : la Pâque est imminente, dans quelques heures on l’arrêtera ; à ses disciples, Jésus vient de montrer l’obole de la veuve, et tellement plus que cette seule femme ; et le voilà soudain qui met ses mots dans ceux de Daniel. Pauvres disciples, ils devaient bien être un peu perdus ! Qu’ont-ils compris, les pauvres, de tout cela ? Qu’ont-ils alors entendu, et vu ? Ont-ils enfin fait le lien ? Il est tellement poignant cet aveu, plein de délicatesse et de pudeur : car en vérité, Jésus ne cite pas seulement Daniel ! C’est de lui qu’il parle ! Il parle de lui, tout simplement, mais sans s’imposer, comme toujours : il se laisse deviner : alors on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée. Le comme a disparu, évidemment L’avez-vous remarqué, il parle de lui à la 3è personne, il parle de lui sans dire qu’il parle de lui !  Pris par nos passions humaines et tellement divertis ou accaparés par elles, parfois les beuveries mais si souvent les soucis de vie, on n’est pas disponibles, ni attentifs. Toujours la même histoire. On ne le voit pas. Car, c’est sa manière, il se propose, mais jamais ne s’impose. Judas par exemple, en bon zélote, comment écoutait-il tout ça: son souci à lui, il n’avait que ça en tête (ah les soucis, pire que les beuveries !) c’était de savoir si son rabbi serait le libérateur d’Israël et quand il les affranchirait du joug des romains…  Un seul disciple parmi eux a-t-il réussi à bien entendre la confidence ? Un seul disciple, malgré le bazar ambiant du Temple, a-t-il su le regarder alors, lui, comme l’émouvant fils de l’homme des songes apocalyptiques ?  Frères et sœurs, pour bien commencer notre avent, ouvrons l’œil, le bon ! Ne nous laissons pas obnubiler par les perturbations climatiques et les prémisses de fin des temps, et tous ces bazars de tous les temples de l’histoire et de nos vies qui nous détournent de lui : remettons-nous devant le grand mystère du « fils de L’homme », ce « fils de l’homme » que par deux fois ce matin Jésus évoque, en parlant de lui, sans jamais nous imposer de faire le lien avec lui. « Fils de l’homme » ! Plus seulement une expression biblique venue du Livre de Daniel, mais un aveu en creux, celui d’un incroyable mystère d’amour : un dieu, fils de l’homme, avons-nous bien entendu ? Pour nous arracher aux horreurs de l’histoire et à ce qui en sera un jour le terme, comment Dieu a-t-il consenti à prendre chair de notre humanité ? Accepté de se faire si proche. Comment le Dieu tout-puissant (mais tout puissant d’amour) au terme vaincra le mal: en ayant accepté de se faire fils de l’homme… Le grand mystère de l’incarnation ! Y sommes-nous vraiment ? Prenons-nous mesure de la révélation ?  Les orages et les tempêtes du monde ne sont finalement retentissants que pour faire clairières en nous !  Pour qu’apparaisse au milieu des fracas un visage, son visage : allons-nous être enfin attentifs à lui, à son mystère ? Il nous faut bien ce temps béni de l’avent pour réorienter notre regard vers ce grand mystère de l’incarnation et du salut, faire authentiquement attention à lui. C’est d’ailleurs à la mesure de cette qualité d’attention que disparaîtra en nous le régime de la peur, cette peur qui tient le monde. Dans les tempêtes, il est rapporté ailleurs (Mt8,26) qu’une fois Jésus d’étant levé, il se fit un grand calme.  Jésus ne nous demande rien d’autre, par deux fois ce matin et d’un même mouvement : pour mieux l’envisager et le contempler, relever le tête et nous redresser, pour nous tenir debout ! Oui, debout, devant le Fils de l’homme, pour y trouver le calme ! Quelle grâce ! La gloire de Dieu dit saint Irénée, c'est l'homme vivant, mais c’est aussi l’homme debout ! En vérité, c’est synonyme ! Car l’homme debout, c’est l’homme ressuscité ! Dans le grec de l’évangile, c’est d’ailleurs le même mot. Oui, relevons-nous, frères et sœurs ! Quand nous écoutons la proclamation de l’évangile à la messe, voilà pourquoi nous sommes debout ! De même, quand nous venons en procession pour recevoir à la communion le pain d’éternité, aimons aussi nous présenter debout, en hommes debout, en hommes ressuscités ! Le regain de l’agenouillement à ce moment-là de la messe est certes une dévotion touchante du XIXème, mais la comparution devant le Seigneur, debout, en ressuscité est liturgiquement bien plus ancienne et plus ajustée d’un point de vue eschatologique, plus éloquente spirituellement. C’est à la crèche, frères et sœurs, que nous nous agenouillerons bientôt devant le mystère du Dieu enfant. Mais à pleines mains tendues comme des mendiants d’éternité que nous sommes, et debout, résolument debout parce que sûrs de la résurrection, n’ayons jamais peur de nous approcher de celui qui, en nous relevant d’abord, nous donne le viatique pour le Royaume. Jésus ne nous demande que cela : non pas courber l’échine, ni nous accabler de terreur ou de pénitence ; par deux fois ce matin il nous presse : redressez la tête, tenez-vous debout. Debout devant le fils de l’homme ! Ne le perdons pas de vue, ouvrons l’œil ! Nous tenir debout devant le fils de l’homme ! Sans arrogance, mais à cause de l’espérance. Oui, remettons-nous bien dans l’axe ! Et accueillons la belle verticalité de cette dignité de l’homme debout qu’il veut nous redonner. Car pour le cœur à cœur que Dieu désire tant, d’abord bien positionner le face à face ! En avant donc, et debout ! Pour notre avent qui commence ce dimanche, voilà donc, frères et sœurs, un bon programme de redressement ! Bonnes relevailles à tous ! Amen 


Cathédrale Saint Jean 1er dimanche de l’Avent ; 1er décembre 2024 (Lc, 21, 25-28.34-36)

Commentaires

  1. pierre-yves02/12/2024 15:30

    Merci Patrick, pour ces paroles qui nous invitent à regarder le Christ et ne pas nous laisser distraire par les soucis de la vie. Merci à ceux qui vous aide à tenir ce blog. Union de prière. NB :on passé à l'année C

    RépondreSupprimer
  2. "aident" (pardon !)

    RépondreSupprimer
  3. Merci Pierre-Yves, c'est corrigé !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire