Et voici que …

Lundi, 14ème semaine du Temps Ordinaire

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 9, 18-26)

Et voici que... Petite interjection de début de phrase pour mieux amener et faire passer ce qui va suivre. Combien de « voilà » et de « voici » sont ainsi arrivés jusqu’au Christ, comme une vague à un rivage. En écho à ces petits dérangements au fil des chemins, combien de rencontres imprévues, insérées dans l’Évangile. Matthieu s’apprêtait-il à entrer un peu plus précisément dans ce que Jésus disait à ses disciples ? Voilà précisément que le maître vient juste d’être interrompu. Il faut donc rapporter aussi ces moments où un importun, une fois de plus, est venu le déranger. « Tandis que Jésus leur parlait ainsi, voilà qu’un chef s’approcha…Et voici qu’une femme souffrant d’hémorragie s’approcha. » Ça n’arrête jamais ! Au fond de lui, Jésus sait bien qu’il ne peut, durant sa venue parmi les hommes, se laisser détourner de l’Annonce dont il est porteur. A Israël prioritairement, il doit témoigner qu’il est le Messie. Il a tant à dire. Lui qui connaît la misère de l’homme comme personne, il sait en outre que la file d’attente des douleurs est infinie, et qu’il pourrait y passer ses jours et ses nuits. Il n’empêche. On ne renvoie pas un homme qui vous apporte son chagrin de père. On ne renvoie pas une femme qui n’en peut plus de souffrir depuis tant d’années. Malgré le programme chargé, il se laisse toucher. Tant de voici et de voilà lui arrivent, pour lui raconter la vie difficile des hommes et leurs souffrances. Rejettera-t-il jamais un seul de nos pauvres « et voilà que… » ?

Jaïre donc. La douleur n’épargne personne, les notables pas davantage. Tout allait si bien dans sa vie et voilà que tout bascule. Sa jeune enfant vient de mourir. Y-t-il plus grande épreuve dans une vie d’homme que de perdre un enfant ? Il lui faut alors faire face, se résigner. Ses bons amis, comme ceux de Job en son temps, l’encouragent à être courageux, à être fort. Y eut-il un seul ami pour l’encourager à être fou ?

Car peut-on consentir à la mort de son enfant ? Presque malgré lui, le deuil s’organise déjà chez lui et le rituel funèbre commence : les joueurs de flûte arrivent, les pleureuses entonnent le thrène mortuaire. Rien à faire ! Bravant tous les usages et les conventions, il sort alors de sa maison et, comme un forcené, aimanté par on ne sait quelle folle audace, fonce jusqu’à ce Jésus de Nazareth, dont il a entendu parler, ou qu’il a peut-être lui-même entrevu. Du fond de son chagrin de père, monte un incroyable élan d’espérance, presque sauvage. Rien n’arrête ceux qui aiment !

Il arrive jusqu’à Jésus, ose le déranger. Il ne lui demande rien : juste venir, et « lui imposer les mains », car, il le sait, un homme ne touchera pas le cadavre d’une jeune fille, impur. Il lui demande tout !

Jésus vient et fera plus encore : pour redonner vie à la petite, simplement, il lui prendra la main. Car Dieu ne se lasse pas de nous tendre la main.

Jaïre l’avait bien pressenti : entre Dieu et les hommes, c’est à jamais main dans la main ! La mort n’y fera rien.

Et cette femme souffrant d’hémorragie ! Elle pensait s’y prendre incognito, juste profiter de son passage, tandis qu’il était en route pour une affaire d’importance. Secrètement, elle voulait glaner un tout petit bout de guérison, sans crier gare. La supplique qu’on venait de faire à Jésus avait une telle urgence ! À la demande de son père, un homme de pouvoir, un chef, Jésus devait sans délai aller voir ce qu’il pouvait faire pour une jeune fille qui venait de perdre la vie. La femme a beau trainer son incurable problème depuis tant d’années, que vaut sa misère à elle ? A quoi pouvait-elle prétendre, sinon que de rester en marge, sur la touche, et ne le toucher que sur la frange. Elle tente quand même le coup, en douce. La frange que porte un juif, après tout, c’est une partie rituelle de son vêtement. Sait-on jamais ?

Pressentait-elle, dans son incroyable audace un peu superstitieuse, que la frange qui borde le vêtement du Christ n’était pas seulement, comme pour tout juif de l’époque, le rappel vestimentaire de son appartenance à la Loi de Moïse. C’est que la frange de ce juif-là a une signification plus mystérieuse, liée à son attention profonde aux êtres, et au salut qu’il vient leur apporter. Il aurait pu s’offusquer de sa façon cavalière de procéder, rabrouer son petit calcul. C’est oublier que cette frange rituelle est en lien direct avec le cœur profond de celui qui la porte, et l’amour fou qu’il va déployer pour le salut du monde. Un endroit en vérité très sensible. C’était bien là qu’il fallait le toucher !

Commentaires