Faute d’usage

Samedi, 21° semaine du Temps Ordinaire

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 25, 14-30)

Il fallait placer mon argent à la banque et à mon retour tu l'aurais retrouvé avec les intérêts : précepte pour bon manuel de gestion d'actifs ? Célébration du système bancaire et des fonds d'investissement ? Promotion marquée à ceux qui connaissent les placements juteux ou les bons coups à faire ? La morale de la parabole, qui plus est, heurte sensiblement nos revendications égalitaires et peut aujourd'hui scandaliser : à celui qui a on donnera encore…et celui qui n'a rien se verra enlever ce qu'il a. Quant à ce pauvre serviteur bon à rien, et qu'il s'agit alors de jeter dans les ténèbres extérieures, on a envie de plaider un peu sa cause. D'en appeler sur lui à plus de miséricorde ! Pas un audacieux certes, mais quand même : en vérité, ce pauvre serviteur croyait bien faire, il avait surtout peur. Sa pièce, il pensait la protéger, la dissimuler, la soustraire à toute circulation risquée, à tout contact étranger. Il avait peur. Ce grand et éternel poison de l'aventure humaine.

Une parabole déroute, déjoue, rejoue. Il ne faut pas en accréditer la lettre, ni le détail, mais chercher « à plus haut sens » comme dit Rabelais. Dans les paraboles, c'est tentant et spontané, on identifie souvent Dieu au maître. C'est rarement là qu'il se cache. Les paraboles parlent moins de Dieu (déguisé en maître du domaine !), ses exigences, ses colères, ses sanctions, qu'elles ne dessinent à coup de scénarios emblématiques les audaces d'amour que le serviteur doit avoir. Le maître souvent, c'est plutôt le réel, ce principe de réalité qui dans nos vies nous donne très inégalement. Et c'est bien vrai qu'en nous un principe de précaution, épargne et prévoyance, nous pousse à conserver à l'identique, ne rien jouer ni risquer, ne rien perdre ni ne rien donner. Mais la charité et la joie, le Christ lui-même (c'est ainsi plutôt dans le talent qu'il se cache !), eux, s'augmentent de se répandre et se réduisent à se garder de côté ! En cette matière, celui qui a recevra encore, celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a. Dieu, en un sens, n'y est pour rien, c'est l'ordre même de l'amour qui veut cela.

Ainsi de l'âme humaine et de son aspiration à aimer, comme d'un talent : ne pas l'enterrer ni la rouler dans un linge (Luc 19, 12-27) ou la remiser dans une armoire, pour en étouffer les besoins ou en amortir les exigences ! La damnation (Les pleurs et les grincements de dents ?), notait Bernanos, ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre, et gâtée comme ces soies précieuses, faute d'usage ?

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