Tu lui donneras le nom de…
Lundi, 23° semaine du Temps Ordinaire
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 1, 1-16.18-23)
Vu sa longueur, certains sont tentés de raccourcir la généalogie du Christ qui ouvre l'évangile de Matthieu. Ce serait se priver d'une magnifique litanie de la fidélité, de ces beaux noms anciens égrenés en chapelet pour dessiner une émouvante continuité humaine. Bel inventaire d'une descendance plus poétique que génétique, longue généalogie qui creuse le temps pour dire que Dieu a de la suite dans les idées, davantage que de s'assurer de la pureté du sang, encore moins de la race. Car, à l'oreille attentive, ce que laisse entendre la belle scansion de ce lignage ininterrompu, ce sont des ruptures. Celle du péché (David et son union avec la femme d'Ourias), celle des étrangères (Ruth) ou des prostituées (Thamar et Rahab) qui paradoxalement relancent et sauvent l'héritage saint ; ou celle encore des grandes souffrances qui infléchissent à jamais l'Histoire, comme l'exil à Babylone qui casse la généalogie par le milieu.
D'Abraham à Joseph, pétris d'humanité, ils sont magnifiques, ces patriarches, qui n'étaient pas tous des saints ! On ne sait donc rien des épouses, sauf quand elles sont scandaleusement mémorables. L'essentiel a sans doute été mystérieusement transmis par les femmes, et le monde ancien ne retient que des noms d'hommes.
Mais s'ils font ici cortège solennel depuis la nuit des temps, c'est pour arriver jusqu'à elle. Pour déposer aux pieds de Marie leur humble service, laissant à Joseph, le plus modeste d'entre eux, de récapituler en lui leur hommage et leur accueil. Et de donner un nom ! Comme une panique à l'état civil ! Un trouble dans les registres … Alors ce petit ? On l'appelle comment finalement ? Jésus ou Emmanuel ? Aujourd'hui, en mairie, il faudrait choisir, ou tenter un prénom composé… En toute rigueur, et en faisant une lecture naïve du passage, on peut trouver que le prénom soufflé par l'ange au bon Joseph n'est pas exactement conforme à la prophétie d'Isaïe (7,14), dont il prétend pourtant être l'accomplissement fidèle, et dont l'évangéliste, comme pour mieux troubler le lecteur, rappelle et le détail et la traduction du prénom annoncé jadis. Dieu entre temps aurait-il changé d'avis ?
A cet enfant, il faut bien un nom d'usage. Et c'est au père de lui donner un prénom par lequel durant sa vie d'homme, il sera appelé. Un mot simple, Jésus, en hébreu Yeshua, « Dieu sauve », ce qui est tout un programme en effet. Cela fait partie de la kénose de Dieu, de son abaissement que de prendre chair de notre humanité et de limiter son nom saint à deux modestes syllabes. Dieu se risque donc aussi à la nomination, et à l'apostrophe, lui dont le nom était jusque-là sacré et imprononçable. Avec l'incarnation, voilà soudain qu'il accepte que le tétragramme se module désormais en syllabes très articulables, et par n'importe qui. Pour sa vie d'homme, un seul nom donc, comme tout un chacun. Un nom d'usage, Dieu y consent. Mais pour commencer à entrer dans son mystère, et ce dès la conception, déjà deux désignations, en palimpseste, pour nous dire à la fois que Dieu sauve, et qu'il est à jamais avec nous. Et tant d'autres choses encore, qu'il nous faudra découvrir dans l'incroyable et insondable nom de Dieu dont le développement ici ne fait que commencer.
Que Marie, en cette fête, y dispose nos cœurs et nos esprits.
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