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Dimanche, 29° dimanche du Temps Ordinaire

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (18, 1-8)

L'évangile fourmille de trognes en tout genre ! Autant de visages de notre humanité ordinaire, une formidable galerie de portraits qui font de ce livre une toile de Breughel, bien plus qu'un traité morale ou de bondieuseries ! On y croise ainsi des personnages pas toujours bien recommandables ni des modèles ! Tous à leur façon donnent visage et corps à nos petites affaires, nos petites bassesses, nos petites misères. Là un intendant malhonnête (mais futé), ici un riche insensé, des mauvais vignerons, un fils prodigue ou un jeune homme irrésolu, et tant d'autres vignettes de notre humanité bigarrée. Aujourd'hui une veuve, vraiment très casse-pied, très importune, et un juge embourgeoisé et planqué qui n'agit que pour qu'on lui fiche la paix ! La parabole, avouons-le, n'est pas à l'avantage de Dieu, qui accepte une comparaison peu flatteuse avec ce juge très pragmatique qui rend justice moins par idéal que pour qu'on ne lui casse plus la tête. Parce qu'il connaît notre infidélité chronique et notre peine à persévérer dans la prière, Jésus ne craint pas un exemple aussi grossier pour nous convaincre que si ce juge misérable se laisse fléchir, combien a fortiori Dieu le fera à son tour. Quelque chose de l'argumentaire du comble : si ce bougre de juge ronchon se laisse fléchir, ce serait bien un comble que Dieu, qui lui n'est pas un juge ronchon, ne se laisse pas lui-même fléchir par nos demandes insistantes. Rien n'exclut d'ailleurs de penser que Jésus dit cette parabole avec un sourire… On n'entend jamais assez l'humour du Christ. Dès qu'il ouvre la bouche, et qu'on rapporte ses paroles, on veut en faire un peu vite des paroles d'évangile : on sacralise, on dramatise, on solennise ; on ferait mieux parfois de sourire, et de s'attendrir. De laisser du jeu, à tous les sens du mot… Ce matin, Dieu veut donc, c'est Jésus qui en fait la plaisante démonstration, qu'on lui casse les pieds avec nos prières. Dont acte.

Mais pourquoi en vérité une telle demande ? Car que faudrait-il penser d'un Dieu qui exigerait de la prière (et en quantité) pour nous donner satisfaction, sinon qu'il est pervers ? S'agit-il du rendement de la prière, à intensifier toujours plus pour satisfaire un Dieu qui en est particulièrement avide ? Et plus il y aurait de prières, plus il ferait justice ? Un Dieu finalement très comptable qui récompense l'investissement à raison de sa quantité…La justice de Dieu est-elle vraiment proportionnée à nos demandes, et ainsi dépendantes de nos prières ? Peut-on, en conséquence, mettre la main sur la justice de Dieu (son avènement, son mystère, sa divinité surprenante…), en la soumettant mécaniquement à nos demandes insistantes, dont elle ne serait qu'un fruit, bien proportionné ? Bonus aux casse-pieds ? Dieu en vérité a-t-il besoin de nos prières incessantes pour faire justice, le moment venu. La justice de Dieu en un mot est-elle sous condition ? C'est bien évidemment plutôt comme un mendiant que Dieu attend nos prières, pas comme un Pharaon exigeant. Et il ne dit pas d'ailleurs que sa grâce est indexée sur nos demandes, proportionnée à notre insistance, à notre persévérance, et c'est tant mieux. S'il demande notre prière insistante, permanente, persévérante, ce n'est pas là venant de lui une exigence de prince, mais une prévenance à notre égard. C'est pour nous, oui pour nous, qu'il veut être constamment importuné. Pour que jamais nous ne décrochions de la demande. Pour que jamais nous ne perdions le lien avec lui. Cela s'appelle la foi, et il sait bien que l'histoire des hommes n'y dispose guère. La trouvera-t-il sur terre : c'est bien la question finale ? Oui, on se décourage vite. La prière n'étant pas magique, elle ne donne pas toujours ce qu'on en espérait ; désabusé parfois, on a tôt fait de reprendre le gouvernail de nos vies, en comptant

surtout sur nous finalement plutôt que sur Lui. On ne persévère pas. On décroche. On perd foi, on perd la foi. On perd surtout le lien avec Lui.

Ce que Dieu espère de nous, frères et sœur, c'est une persévérance d'amour, même pauvre, qui d'abord atteste le lien, et la confiance. La foi donc. Oui, la prière incessante qui plait à Dieu, c'est celle qui tisonne en nous la foi, pour que nous brulions ! Même persévérante, à cause même de sa persévérance, la prière n'aura jamais rien d'athlétique. Publicains plus que pharisiens ! Qui peut d'ailleurs se prévaloir d'être un bon priant ? L'image des mains levées de Moïse et soutenues par Aaron et Hour de la première lecture est si éclairante ; ils imaginent un si croyable dispositif d'exosquelette avant l'heure qui a de quoi nous faire sourire, mais qui est tellement touchant, et plein de leçons en vérité. Qu'il est pénible et douloureux en effet de se tenir ainsi pendant des heures les mains levées vers Dieu. Même pour le grand Moïse… ! Alors on bricole, encore et toujours, comme on peut et avec ce qu'on a. C'est ça je crois bien qui réjouit le cœur de Dieu. C'est bien ainsi que fait l'Église au fil des âges. Les uns combattent au dehors, comme ils peuvent, pendant que d'autres, dans les cloîtres ou la cellule close des cœurs, prient pour les combattants. Mais même les mains levées des priants et des contemplatifs doivent être soutenues… Qui prient pour qui, qui soutient qui ? Qui obtient quoi pour qui ? Levez-vous les bras ou soutenez-vous le bras levé de quelqu'un ? La comptabilité claire ainsi se dérègle, on y perd son latin ou son hébreu, et c'est tant mieux : ça s'appelle la communion des saints. L'important, c'est d'y être… A cœur ouvert, sans toujours savoir exactement bien où. Mais avec la persévérance du cœur …

À la pointe de cette plaisante parabole de la veuve importune et du juge agacé, l'avez-vous remarqué, le ton se fait plus grave. Comme une montée d'émotion du cœur de Dieu, une inquiétude soudaine, en forme de confidence et de peine. Cependant, le Fils de l'homme quand il viendra trouvera-t-il de la foi sur terre ? Jésus ne s'y trompe pas, qui en fait déjà l'expérience au fil des chemins qu'il emprunte. Du côté des hommes, il voit bien que la foi fait souvent défaut aux hommes, que la vraie prière, incessante, leur manquera toujours, malgré la parabole qu'il vient de proposer. (On voudrait bien le faire mentir, n'est-ce pas ?) Mais du côté de Dieu, en revanche, Jésus lui sait bien jusqu'où, par amour, Dieu est prêt à se laisser importuner : pas seulement qu'on lui casse la tête tous les jours pour nos petites demandes… Mais qu'un jour, on aille même jusqu'à le mettre en croix ! Pour un Dieu, se laisser importuner jusque-là, c'est beaucoup… Oui, par nous et pour nous, Dieu va se laisser importuner, à un point qu'on n'imagine guère. Et sur la croix de son amour, où sa justice pour nous ne se dérobera pas, qui alors lui tiendra les bras ? Amen.

Domaine Lyon Saint-Joseph

Formation des diacres. 

Dimanche 19 octobre 2025 29è dimanche ordinaire C (Luc 18, 1-8)

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